Violences sexuelles : où commencent-elles ?

Parler - Sandrine Rousseau

Parler, de Sandrine Rousseau, sous-titré « Violences sexuelles : pour en finir avec la loi du silence ». Voilà un livre qui fait parler de lui, justement. Avec raison, me semble-t-il. En tout cas, j’ai eu envie de le lire. Puis de réagir à ma lecture.

L’autrice y relate son parcours en détail. Sa vie d’avant, lorsqu’elle avait un métier, un mandat, une fonction. Les quelques secondes de l’agression. Le flou qui a suivi. Sa vie d’après, constituée du seul et unique statut de victime. Les blessures, les incompréhensions, la renaissance…

Alors oui, il faut lire Sandrine Rousseau. Pour comprendre et faire comprendre aux autres. Pour que les victimes ne soient plus obligées de se débrouiller toutes seules. Que le combat soit moins inégal. Et que parler devienne moins difficile que se taire. Ce qui n’est pas le cas pour le moment, loin de là.

Et puis, il y a ces chiffres.

« Une femme sur sept dans sa vie est agressée sexuellement, 1 % des agresseurs sont finalement condamnés par la justice ».

Les deux informations, côte à côte, dessinent une réalité accablante. C’est d’abord le 1 % qui m’a sauté aux yeux. Avec de l’incompréhension mêlée de colère. Pourquoi si peu ? Et puis, la première partie de la phrase est revenue à la charge dans mon esprit.

Une femme sur sept.

Avec cette question : sur sept femmes, suis-je celle-là ? Je devrais pouvoir répondre sans hésiter à cette question. Eh bien, je n’y arrive même pas.

Par contre, j’ai trois souvenirs qui me reviennent en mémoire.

Il y a quelques années, un repas d’anniversaire avec des dizaines de convives. C’est la fin de soirée. Quelques-uns dansent ; je suis assise à table avec d’autres. Le roi de la fête, qui a un sacré coup dans le nez, surgit derrière moi et, la bouche dans mon cou, m’invite à danser avec lui en empoignant mes seins. Je refuse calmement… et je rentre chez moi sans plus attendre.

Orléans, septembre 1984, j’ai 17 ans. Un conducteur qui m’a prise en stop ne me laisse descendre de sa voiture qu’après m’avoir embrassée de force, sa langue forçant le passage entre mes dents.

Châteauroux, printemps 1982, je n’ai pas encore 15 ans. Un homme que je croise dans la rue prend mes seins à pleines mains en lançant : « Dis donc, ça pousse ! » avant de s’éloigner comme si de rien n’était.

J’imagine d’autant mieux les réactions que ces exemples peuvent susciter qu’elles ont aussi été les miennes : « Il avait trop bu, il ne se rendait pas compte » ; « Si tu n’avais pas fait du stop, ça ne serait pas arrivé », et puis « Il y a quand même plus grave ! »

Sauf que ces souvenirs sont restés gravés dans ma mémoire. Surtout le plus ancien.

Je marchais dans la rue avec une copine. Nous rentrions au lycée après une sortie en ville. C’était donc un mercredi en fin d’après-midi, puisque, pensionnaires, c’était le seul moment de la semaine où nous avions le droit de quitter l’établissement.

Je me souviens très exactement de l’endroit : le passage piétons qui se trouvait au niveau d’un feu rouge, près de la manufacture de tabac, au début de l’avenue de La Châtre. Je me souviens de ce que je portais : une jupe en tissu crêpe bordeaux et un chemisier à manches courtes dont la couleur m’échappe. Je me souviens de l’homme : il était grand, mince, avec des cheveux châtains, et il devait avoir la trentaine.

Était-ce une agression ? Je n’arrive pas à en être sûre. Mais ce qui est certain, c’est que je me suis sentie agressée. Que cela a été violent pour moi. Sinon, mon souvenir, trente-cinq ans plus tard, ne serait pas aussi net et précis. Et puis, ce jour-là, j’ai découvert trois choses :

  • que mon corps pouvait susciter l’envie chez des hommes beaucoup plus vieux que moi ;
  • que certains se sentaient le droit de le tripoter sans me demander mon avis ;
  • que je devrais « faire attention ».

Je me suis sentie du côté du gibier. J’en ai acquis des réflexes de protection qui ne m’ont jamais quittée.

Alors, suis-je la femme sur sept ?

Ne sommes-nous pas toutes cette soi-disant femme sur sept ? La popularité des hashtags #balancetonporc et #metoo sur les réseaux sociaux tendrait à le laisser penser…

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