Le chat continue de se dévoiler 🙂
Le dĂ©but de l’histoire est lĂ : http://florence-clerfeuille.com/2014/04/le-chat-du-jeu-de-quilles-tome-1/
Avec une désinvolture qui me surprit moi-même, je claquai pour la dernière fois derrière moi la porte de mon appartement parisien. Sans un regard pour l’endroit qui m’avait servi de tanière pendant plusieurs décennies, je tendis les clés à l’agent immobilier qui m’accompagnait.
« À vous de jouer ! » lançai-je.
Mes meubles, mis en vente sur Internet, avaient quitté les lieux en quelques jours à peine. Pendant un temps, j’en avais été réduit à empiler vêtements et livres au petit bonheur la chance, en tentant quand même de me laisser un passage entre les différents tas.
Ensuite, j’avais mis le plus gros de mes affaires dans des cartons que j’avais déposés chez Emmaüs. Au moment de quitter Paris, je ne possédais plus qu’une valise à roulettes (ni glamour ni baroudeur mais bien pratique) et mon indispensable ordinateur.
Ma vie tout entière avait été numérisée ; je n’avais pas besoin d’emmener plus.
Manon m’attendait dans une voiture de location. Nous aurions pu prendre l’avion (il y avait des vols Orly-Rodez) mais elle avait décrété que le trajet par la route nous permettrait de nous « mettre dans l’ambiance ».
Je crois surtout qu’elle avait envie de conduire.
Il valait mieux, d’ailleurs, car je l’avais prévenue : il ne fallait pas compter sur moi pour prendre le volant ! Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi d’habiter en plein Paris : je ne me déplace qu’à pied, en transports en commun ou en taxi.
« T’es un vieux snob, finalement » m’avait lancé Manon.
Un rien vexé, je n’avais pas pu m’empêcher de répondre à ce qui était, il fallait bien le reconnaître, une provocation.
« Pas du tout : je prends soin de la planète !
— De la planète ? »
Manon avait bien failli s’étrangler de rire.
« Je ne connais personne de moins écolo que toi ! Dis plutôt que tu veux faire des économies. Ou que t’as peur en voiture… Tu seras plus crédible ! »
Sans un mot de plus, j’avais fait claquer ma ceinture de sécurité, m’étais installé le plus confortablement possible dans la minuscule voiture que Manon avait choisie, et avait ostensiblement fermé les yeux. Pour ma part, je comptais bien profiter du trajet pour dormir.
Manon ne voyait pas les choses de la même manière, évidemment…
D’abord, elle ne savait pas conduire sans klaxonner. Encore moins sans insulter tous ceux qui avaient le malheur de croiser sa route et n’étaient pas, comme elle disait, « dans le tempo ».
Automobilistes hésitants, piétons le nez en l’air, cyclistes se faufilant entre les voitures ou livreurs de pizzas pétaradants : tous en prenaient pour leur grade. Et moi, j’en prenais plein les oreilles…
« Putain, tu peux pas te contenter de les insulter intérieurement ? Ça ferait moins de bruit !
— Ça serait surtout vachement moins efficace. Si je me tais, je deviens folle. Crois-moi, ce serait beaucoup plus dangereux pour toi… Hé, mais il me fait quoi, ce con ! »
Dans un crissement de pneus, nous venions de nous arrêter à quelques petits centimètres d’une voiture arborant un A rouge : son jeune conducteur avait eu l’idée saugrenue de s’arrêter au feu orange…
Comprenant qu’il valait mieux prendre mon mal en patience et éviter de « déconcentrer mon chauffeur » comme elle disait, je pris le parti de me taire et de regarder ce qui se passait autour de nous.
La sortie d’Île-de-France me parut interminable. Pourtant, j’aimais la ville et sa ceinture de protection de banlieues en tous genres. Mais avec Manon au volant et son rythme insensé d’une demi-douzaine d’insultes à la minute, la traversée d’une métropole tenait de la torture mentale.
Quand les constructions commencèrent à se raréfier et la route à se perdre dans les champs cultivés, le niveau sonore baissa sensiblement dans la voiture. Je me laissai aller plus profondément contre mon dossier et poussai un soupir de soulagement.
Enfin, j’allais pouvoir tenter de dormir…
« Il faut qu’on monte un plan d’attaque », dit alors Manon.
Je soupirai de nouveau, mais de lassitude cette fois : cette fille était increvable. Et le pire, c’était qu’elle avait raison.
S’installer en Aveyron, pour le Parisien pur jus que j’étais devenu aux yeux de tous, s’apparenterait au mieux à une expérience sociologique, au pire à une émigration ratée. Légale, bien sûr, mais carrément douteuse.
Quand le panneau indicateur de l’entrée dans Rodez apparut, notre discours était pourtant bien rodé.
Ayant toujours habité et travaillé à Paris, l’un comme l’autre, c’était grâce à un ami propriétaire d’une brasserie que nous avions découvert l’Aveyron. Après quelques séjours en tant que vacanciers, l’heure de la retraite ayant sonné pour moi, nous avions décidé de nous installer dans ce beau département, sous le charme duquel nous étions tombés tous les deux.
Naturellement, si nous n’étions pas mariés, nous vivions bel et bien ensemble comme mari et femme.
Je ne trouvais pas l’histoire franchement crédible, mais d’après Manon, c’était exactement ce qu’il fallait dire.
« Les gens sont toujours contents quand tu leur dis que tu as eu un coup de cœur pour leur région. C’est comme ça : ils sont chauvins.
— Et moi à la retraite, avec une copine de ton âge, tu crois que ça va leur plaire ? On va en pleine cambrousse, je te rappelle !
— T’inquiète pas ; là où on va, ils ont déjà connu ça. »
Elle aurait pu ajouter que cela ne s’était pas franchement bien terminé, mais elle n’en fit rien et je ne sais pas pourquoi, mais sur le coup, je lui en fus reconnaissant. Son idée me paraissait suffisamment borderline comme cela sans qu’il y ait besoin d’en rajouter.
Ă€ suivre…
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Lu et approuvé!
P.S.
On est le 30 juin, plus qu’un dodo!
:-))
Bonjour Philippe,
C’est l’heure ! Debout les paresseux 🙂
Florence