Le chat du jeu de quilles – Tome 1 (2)

Quelques pages de plus pour vous aider à patienter 🙂
Le dĂ©but de l’histoire est lĂ  : http://florence-clerfeuille.com/2014/04/le-chat-du-jeu-de-quilles-tome-1/

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J’étais debout sur mon balcon, occupé à observer les va-et-vient des gens sur le trottoir, une beedie à la main. J’ai découvert ces minuscules cigarettes indiennes à mon arrivée à Paris, ai véritablement appris à les aimer lors d’un séjour au Sri Lanka, et depuis n’ai jamais cessé d’en fumer.

Fines et courtes, elles présentent l’avantage de contenir peu de tabac, aucun produit chimique (elles ne sont pas roulées dans du papier, mais dans une feuille de tendu, dont l’odeur rappelle celle de l’eucalyptus) et de réclamer une attention constante pour ne pas s’éteindre. On ne peut donc pas en allumer une sans y penser et en tirer quelques bouffées distraites : une beedie, c’est comme une bonne bière, ça se déguste.

Bon, pour en dresser un tableau complet, je dois ajouter que la taille de ces cigarettes impose que ce soient des mains d’enfant qui les fabriquent. De petites filles, le plus souvent. Parfois, le fait de m’en souvenir rend la fumée plus âcre à mes poumons. Mais finalement, c’est un avantage supplémentaire : ça m’évite d’en fumer trop.

J’étais donc là, plongé dans une rêverie obscure, à deux doigts de sombrer dans l’ennui, quand le timbre de la sonnette retentit. Mécontent, je tentai de faire celui qui n’avait rien entendu, mais mon visiteur inattendu se fit insistant.

Au quatrième coup de sonnette (un rien rageur), je consentis à me déplacer.

Écrasant au passage ma beedie dans un cendrier, je me dirigeai lentement vers la porte. À peine eus-je tourné la clé dans la serrure qu’une voix familière se mit à m’invectiver.

« Ah ben, quand même ! Monsieur daigne se déplacer ! Je t’avais vu, fumer sur ton balcon ! »

 

Vingt-cinq ans à peine, virevoltante et parfumée, Manon s’engouffra sans façon dans mon appartement, regarda tout autour d’elle avant de me faire face, les mains sur les hanches, secouant ses boucles blondes.

« Alors, c’est à ça que se limite ton horizon, maintenant ?

— Qu’est-ce que tu racontes ? dis-je, sur la défensive.

— Tu sais très bien ce que je veux dire, explosa-t-elle, pointant vers moi un index menaçant. Tu ne sors plus de ta tanière ! Un vrai ours en hiver !

— Et toi, tu viens jouer Boucle d’Or ? m’amusai-je.

— Très drôle… T’as pas perdu ton humour pourri, à ce que je vois.

— Si mon humour te plaît pas, qu’est-ce que t’es venue faire ici ? Je te rappelle que t’es chez moi… et que t’as sacrément insisté pour entrer !

— Un point pour toi, reconnut-elle. Tu m’offres un café ?

— Une bière, plutôt. Je n’ai plus de café.

— Ça me va ! »

Et sans plus de cérémonie, elle se laissa tomber sur mon canapé et s’installa confortablement, jambes croisées.

Manon, comme tous les journalistes de son âge, avait commencé sa carrière en enchaînant les stages. Mais contrairement à beaucoup d’autres elle avait finalement réussi à se faire embaucher. Sa façon de vous forcer à lui ouvrir la porte n’y était certainement pas étrangère…

 

« Alors, quel bon vent t’amène ? demandai-je en m’asseyant face à elle, sur un tabouret.

— Un super sujet de reportage.

— Tu te souviens que je ne bosse plus au journal ?

— Évidemment que je m’en souviens ! C’est même pour ça que je suis là. Puisque tu ne bosses plus, tu as tout le temps d’enquêter.

— C’est d’une logique imparable… »

J’avais eu beau mettre tous les sarcasmes du monde dans ma voix, Manon ne s’était pas démontée. Rien d’étonnant là-dedans quand j’y repense : Manon ne se démontait jamais. C’était ce qui faisait d’elle une bonne journaliste. Une excellente journaliste.

Se redressant d’un coup, tendue vers moi comme un arc, elle avait vrillé son regard bleu dans le mien.

« C’est un vrai sujet de reportage. À l’ancienne. Un truc qui tient à la fois de la superstition aveugle et de l’affaire non résolue. »

Pour le coup, ma curiosité était piquée. À croire que même le vieux chien le plus cadenassé de rhumatismes peut retrouver son instinct de chasseur quand une odeur de gibier vient lui chatouiller le bout du nez. Malgré moi, je me penchai en avant.

« Un cold case ?

— C’est ça ! »

Manon avait compris qu’elle avait ferré sa prise. Satisfaite, elle s’était de nouveau laissé aller contre le dossier de mon canapé. Et en souriant, elle avait levé son verre :

« À notre collaboration ! »

Je ne pus que lever mon verre Ă  mon tour.

 

« Bon, tu m’en dis un peu plus sur ton histoire, ou tu préfères attendre la semaine prochaine ? »

J’avais mis le plus de détachement possible dans ma voix, mais Manon ne fut pas dupe. Elle me connaissait bien : elle savait que derrière mon apparente indifférence se cachait une attention affûtée.

« Qu’est-ce que tu dirais de te mettre au vert pendant quelque temps ? me répondit-elle.

— Qu’est-ce que t’entends exactement par me mettre au vert ?

— Partir en province. À la campagne.

— Tu sais que tu parles à un citadin pure souche ? me moquai-je.

— Citadin jusqu’à maintenant. Mais je suis sûre que t’as envie de quitter cette ville. »

La diablesse m’avait déjà cerné. Tout en continuant à discuter, je me mis à l’observer de plus près. Tant que j’avais bossé avec elle au journal, je m’étais surtout intéressé à ses articles, toujours fins, pertinents, dérangeants… Un peu comme leur auteur, finalement.

Tout à coup, je découvrais que Manon était aussi un joli brin de fille, dont le sourire volontiers moqueur avait quelque chose d’irrésistible. Le fait qu’elle soit venue me voir n’en était que plus agréable !

Ă€ suivre

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Cet article a 2 commentaires

  1. LEROY

    Bonjour
    Passionnant le tome 1 , mais je ne trouve pas en vente le tome 2 !!! merci

    1. Auteur

      Bonjour,

      Merci pour votre retour 🙂
      Le tome 2 n’est pas encore en vente ; il est prĂ©vu pour le mois de dĂ©cembre. Je ne manquerai pas de vous prĂ©venir par mail dès sa sortie 🙂

      Florence

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